Nouvelle loi

Tac ! Tac ! Tac !

Fier de son travail, Jean-Michel regarda l'écriteau qu'il venait de clouer au mur. Un gars un peu poilu du Conseil lui avait ordonné de le faire, il savait que ce genre de décisions nécessitaient un vote majoritaire, mais en même temps les 2 pièces d'or ont été vachement convaincantes. Puis bon, il pourrait toujours accuser l'inquisiteur de la Main de la Vérité qui trainait dans le château, ceux-là n'ont jamais été connus pour être des lumières.

Jean-Michel attacha donc son marteau sur sa ceinture à outils, descendit de l'échelle, la plia et s'en alla en sifflotant dans la joie et la bonne humeur.

Au cours de la journée, plusieurs passants s’arrêtèrent devant le mur et dévisagèrent l'écriteau. Parfois il discutaient avec les autres passants pour essayer de comprendre sa raison d'être. Souvent, ils haussaient juste les épaules et continuaient leur chemin.

À un moment de la soirée, tout guilleret, Majias se dirigea vers le dit-mur. Ses yeux balayèrent les écriteaux, cherchant visiblement un plus nouveau que les autres. Assez rapidement ses yeux s'arrêtèrent sur sa cible : son sourire devint encore plus grand. Il se retourna et parti en sifflant de joie. Ils vont enfin devoir bosser, pensa-t-il.

L'écriteau resta là à contempler le couloir et ses passants. On pouvait y lire :

Citation :

À compter de ce jour, toute personne ayant un rang supérieur ou égal à Créateur diplômé se doit de poster au moins 2 messages par semaine.

Danturabo était inquiet. Il se dépêchait de rentrer dans le château, il était en retard. Son maître n'aimait pas qu'il soit en retard. Bon, son maître était rarement là, il traînait bien plus volontiers à la taverne ou au bordel, mais quand même. Il passait parfois à l'improviste.
Tout allait bien, le maître n'était pas là, seulement son collègue, Averroes.
-T'as vu la nouvelle loi ? Quand même c'est rude, dit Danturabo.
Averroes grogna. Il marmonna un truc dans sa barbe, l'air mécontent. Puis dit plus fort :
-Mouais, c'est surtout pour ma gueule ça en fait. Ils vont tous noyer les archives royales ces trouducs, et c'est moi qui vais encore devoir me taper les autodafés de missives non-nécessaires. Et je t'ai à l’œil toi, ajouta t-il avec un regard noir.

Turzaz était inquiet. Il avait entendu des rumeurs étranges plus tôt dans la journée mais, devant aller à la mine, il n'avait pas eu le temps de s'informer plus précisément. C'est au bout de 4 heures de minage éreintant dans la chaleur moite de Gurgl (la plus grande mine de fer de la région) qu'il vit du coin de l’œil son superviseur quitter la zone de travail. Il savait que Monsieur Burne Outte ne reviendrai pas avant deux bonnes heures, voir pas avant le lendemain. Il prit alors un air concentré et se dirigea vers la sortie de la mine en demandant à tous ceux qu'il croisait s'ils n'avaient pas vu Mr Outte. Naturellement, tout le monde lui indiquait alors la sortie et l'enjoignait à se dépêcher.

Une fois dehors, il ne rejoignit évidement pas le superviseur mais fila vers la taverne du Chat collant, afin de se remplir la panse et surtout de se reposer. En chemin, il s'éloigna du sentier et farfouilla dans un buisson jusqu'à y trouver le sac de jute contenant son meilleur déguisement : une tenue de lavandière assortie à une perruque brune et frisée à peine vraisemblable mais masquant parfaitement un visage sale de mineur. Une fois changé, il reprit la route.

C'est seulement après deux ragouts de chèvre, une miche complète de pain noir et au moins trois pintes d'une bière à peine plus potable que son récipient que Turzaz sursauta, manquant de régurgiter tout son repas. Cela faisait trois heures qu'il était à la taverne et il venait seulement de se souvenir de se qui le turlupinait : quelle était cette fameuse nouvelle loi ?

Il profita d'une charrette de foin qui allait au château - à l'opposé de la mine - et somnola pendant le trajet tout en rotant abondamment, pour le plus grand bonheur des gamins débraillés assis autour de lui. Une fois la Grand'Porte passée, il marcha lourdement vers la place principale et pu enfin contempler le Mur aux Lois, sur lequel les nouveaux édits étaient placardés à l'attention du bas peuple (bien qu'il ne sache généralement pas lire).

"Oh, ça va, je m'attendais à pire." souffla-t-il.

Il sortit alors un bout de charbon de sa botte d'été (celle avec plus de trous que de matière) et se mit à griffonner avec enthousiasme sous l'écriteau.



"Quand même, je me demande si cette loi est vraiment applicable pour le personnel du château. Et il faudra que je vois avec le syndicat si on peut mettre en place un système de congés ou un truc comme ça." se questionna-t-il tout en se dirigeant vers le dortoir des apprentis (mais toujours pas vers la mine).

"Pour sûr, ça va stimuler la chasse aux trolls." conclut-il en souriant tout seul dans la rue.

Averroes grimaçait. Comme à son habitude. Mais cette fois ci il avait une bonne raison de faire la grimace. Mais qu'est ce qu'une bonne réponse raison de faire la grimace me direz vous ? Et bien ce n'est pas compliqué, il suffit de ... *paf*

Danturabo leva la tête et regarda d'un air désabusé son collègue qui venait de se mettre une baffe à lui même. Il le dévisagea un temps puis repris son travail puisqu'Averroes n'avais pas l'air de réagir.

Désolé des fois mon train de pensées s'emballe et je digresse. Et une bonne baffe me remet les idées en place ! Bon bref la grimace. Ah oui ! La nouvelle loi ... Non mais qu'est-ce qu'ils ne vont pas nous inventer ceux là. Ca pousse les gens à travailler ça ! Et voilà qu'on vient de recevoir de nouvelles armures, des modèles qu'on avait jamais enregistré en plus. Pour couronner le tout, il y a des changements sur les anciennes... Et qui est-ce qui va devoir se taper l'enregistrement de tout ça ? ... Je ne vous le fais pas dire.

Danturabo se leva et apporta un papier à Averroès :

"Tiens, Hyena nous a envoyé une missive depuis les contrées lointaines. Il dit que finalement il s'est planté et que ce sont les Nains qui sont meilleurs que les Artarüls au bras de fer mais que les Artarüls sont plus lourd que les Nains. Je te laisse rectifier ça dans l'Encyclopédie des Races Majeures d'Illergan"

Averroes baragouina dans sa barbe et fis un signe positif de la tête. Toujours en grimaçant.

Ah celui là il est fort pour dire qu'il est d'accord. Mais quand il s'agit de renseigner les données dans les encyclopédies il y a moins de monde. Bon je demanderai à Majias de le faire. Il aime bien travailler lui. Tiens d'ailleurs il ne dois pas être mécontent de cette nouvelle loi ... Faut dire qu'on s'est bien reposé cette année.

Averroes souriait enfin. Il regarda Danturabo et lui dis :

"Ptite pause ?"

Son collègues acquiesça et les deux hommes se levèrent pour ensuite quitter la salle.

Danturabo entra dans le bureau en titubant sous le poids d'une pile de papiers presque aussi grande que lui, qu'il tenait en équilibre précaire. Après avoir posé la pile sur son bureau, il reprit son souffle, puis lança un énorme soupir.

-C'est quoi ce bazar ? lui demanda son collègue.
-C'est tous les rapports des gens qui prétendent avoir vu un Zirodon.
-Attend mais le zirodon, c'est un cryptide non ? demanda Averroes. Une légende de gueux qui s'ennuient.
-On est bien d'accord, mais je vais quand même devoir éplucher tout ce bazar pour savoir s'il y en a qui sont crédibles. Mais j'en doute. La moitié des rapports sont embrouillés et mentionnent la "Promesse de Turzaz", une espèce de prophétie naze selon laquelle le zirodon viendrait délivrer Illergan de ses péchés ou une connerie du genre.

Averroes prit un papier au hasard, puis dit
-Des nuages des poison, des nuages de poussière, des nuages de flatulences... Et six articulations ! Non mais clairement, les gens ne savent plus quoi inventer.